Journée des espaces éthiques de Bretagne Occidentale sur le thème :
"La finalité de la recherche biomédicale : vers un arraisonnement de l'être humain"
du jeudi 11 au vendredi 12 septembre 2008
Lieu : Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé - Département de Sciences humaines et sociales
Politique, recherche et éthique :Mes chers collègues,
Quelles perspectives ?
• La science explique les phénomènes ;
• la religion révèle une vérité ;
• la loi propose des règles ;
• l'éthique seule s'interroge.
Comme l’avait rappelé le Ministre de la Santé Jean-François Mattei, au cours des débats de 2004 sur la loi bioéthique : « Les progrès de la science et des techniques sont si rapides qu'ils posent désormais, à l'humanité, des problèmes jusqu'alors inenvisageables. »
Depuis plusieurs mois déjà, des pistes de révision et d'adaptation de la loi de 2004 ont été évoquées, comme celles visant à élargir le dispositif d'assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui, ou encore le don d'organes.
Le Gouvernement souhaite se donner les moyens d’une réflexion rigoureuse en consultant plusieurs institutions :
- le Conseil d’État, en vue d’une étude préalable à la révision de la loi. Les conclusions sont attendues pour la fin de l’année ;
- le Comité consultatif national d’éthique qui remettra, avant la fin de ce mois de septembre, un mémoire où seront identifiés les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques.
Toutefois, afin de ne pas limiter la réflexion aux seuls débats d’experts, le Président de la République et le Gouvernement mettront en place des États généraux de la bioéthique au premier semestre 2009.
Il est vrai que la complexité des questions posées justifie, à mes yeux, l’organisation et la multiplication des colloques sur les thèmes relevant de la loi de 2004.
En tant que parlementaire, mais aussi médecin, je crois qu’il faut que l’année 2008 soit utile pour ces lois.
De son coté, l’Assemblée nationale a constitué, le 22 juillet dernier, une mission d’information parlementaire sur la révision des lois bioéthiques.
Cette mission est présidée par M. Alain Claeys (SRC). Son rapporteur est Jean Leonetti (UMP).
Par là même, l’Assemblée nationale souhaite jouer pleinement son rôle de réflexion et d’évaluation de la loi du 6 août 2004, avant d’entreprendre la discussion de révision du texte en 2010.
Il abordera tous les problèmes relevant de l’éthique et de la biomédecine, les droits de la personne et la génétique, le diagnostic prénatal et l’assistance médicale à la procréation, la protection juridique des inventions biotechnologiques, les recherches sur l’embryon et les cellules souches, ainsi que les problématiques liées aux nouvelles technologies.
Effectivement, il faut que le Gouvernement mette en place, assez rapidement, un débat public sur ces questions.
En effet, la prochaine loi bioéthique sera bonne si elle a été précédée, en amont, d'une réflexion de nos concitoyens.
Avant d'aborder quelques sujets propres à la future loi sur la bioéthique, je souhaiterai traiter la question très difficile de la notion d’éthique.
Au risque de choquer, je ne vous cache pas mon scepticisme sur la fiabilité, sur la solidité d’une d’éthique unique et absolue.
Devoir modifier les lois de bioéthique tous les 5 ans confirme que l’éthique, telle que nous la concevons à un moment donné, est une notion relative qui peut parfaitement évoluer dans le temps.
Il n’existe pas, selon moi, d’éthique biomédicale unique.
L’éthique - que je pourrais qualifier "d’éthique républicaine", à laquelle je crois - pourrait se définir par l'effort pour trouver des solutions provisoires à des conflits de valeurs et de normes.
C’est à partir de la diversité des points de vue des médecins, des biologistes, des malades, de l’opinion publique, y compris des religions, que nous serons en mesure de comprendre et de déceler les valeurs auxquelles les uns et les autres se réfèrent.
Pour moi, l’éthique que nous devons construire ensemble suppose des compromis, un accord sur quelques points fondamentaux, respectant au mieux les valeurs des différentes familles spirituelles.
En effet, comme en 2004, la future loi ne peut être que le fruit d'une réflexion ponctuelle qui va chercher à concilier, à un moment donné, la nécessité de favoriser les découvertes scientifiques et une sorte d'obligation de respect dû à chaque être humain.
Dans le temps qui m'est imparti, je souhaiterai n'aborder que quelques aspects particuliers, mais qui me paraissent majeurs, de ce compromis difficile à trouver dans la future loi.
Dans les perspectives de révision, nous savons tous que la loi actuelle comporte des lacunes qui ne permettent pas de répondre, de façon équilibrée, aux avancées scientifiques de demain.
Les questions que je souhaite poser sont les suivantes :
1 - Existe-t-il des urgences totalement motivées par l’évolution, depuis 2004, des sciences et des techniques ?
2 - Existe-t-il de nouveaux enjeux éthiques qui doivent être traités ?
A ces deux questions les réponses sont positives.
I - Dans les modifications nécessaires en raison de l’évolution et du progrès des connaissances en génétique, je voudrai aborder le sujet du diagnostic préimplantatoire (DPI)
Les indications du diagnostic préimplantatoire dans la loi de 1994, qui ont été reconduites en 2004, étaient très restrictives.
Mais depuis, on a progressé dans la connaissance de la détermination des facteurs génétiques de certaines pathologies.
On constate maintenant l’apparition d’une demande d’utilisation du diagnostic préimplantatoire, non plus pour des pathologies, mais pour des prédispositions génétiques.
Cet exemple montre qu’il est nécessaire de tenir compte de ces évolutions pour vérifier si le cadre de la loi est encore adapté.
Il faut simplement contrôler le risque éventuel d’un développement anarchique et inapproprié d’extension de cette technique à des indications non médicales. Chacun pense, bien entendu, à la sélection eugénique.
II - De nouveaux enjeux éthiques sont apparus et je voudrai développer 4 points précis :
- les études sur l'embryon
- l'assistance médicale à la procréation
- la grossesse pour autrui
- enfin, les prélèvements et greffes d'organes.
1 - Sur les études sur l’embryon
Concernant la recherche sur l’embryon, depuis juin 2006, l'Agence de biomédecine a donné le feu vert à 13 équipes de chercheurs, après examen attentif de leur dossier et avis favorable de son conseil d'orientation, une autorisation qui s'ajoute à celle des douze équipes précédentes qui avaient bénéficié d'un dispositif transitoire, juste après le passage de la loi.
Le débat sur l'autorisation ou l'interdiction de la recherche sur l'embryon n'est pas récent, puisque le Parlement s'en était saisi lors de la préparation des lois de bioéthique, adoptées en juillet 1994. Des changements importants sont intervenus depuis, et le texte qui nous est proposé tient compte des progrès enregistrés depuis une dizaine d'années : la fécondation in vitro, le diagnostic prénatal, etc…
En quelques années seulement, les découvertes sur les cellules souches embryonnaires et la naissance des premiers mammifères clonés ont fait progresser de manière extraordinaire l'état des connaissances scientifiques.
Ouvrent-elles réellement des perspectives, jusqu'alors insoupçonnées, pour le traitement de certaines maladies génétiques graves chez l'enfant, mais aussi pour certaines maladies neurodégénératives chez les personnes âgées ?
Je ne suis pas certain de répondre à cette question, mais il est probable que le choix retenu en 1994 n'est plus adapté pour plusieurs raisons.
A l'époque, nous avions interdit toute recherche sur l'embryon. Nous avions tout de même admis, qu'à titre dérogatoire, des études qui ne porteraient pas atteinte à son intégrité soient réalisées.
De fait, elles ont abouti au diagnostic préimplantatoire, mais rien n'avait été prévu pour décider du sort des embryons surnuméraires conçus dans le cadre d'un projet parental.
Le texte qui nous a été soumis en 2004 avait un objectif précis : ne pas se priver, pour le traitement des maladies incurables, des progrès qui pourraient résulter de recherches menées à partir de cellules souches embryonnaires.
C’est pour cette raison que la recherche sur l'embryon était très encadrée et qu'elle ne pouvait être que thérapeutique.
N’a-t-on pas créé, en 2004, un sentiment de frustration dans la communauté scientifique en raison du caractère très encadré des recherches éventuelles sur l'embryon ?
La loi de 2004 posait en effet comme principe l'interdiction de la recherche sur l’embryon, tout en autorisant la recherche sur les embryons dits "surnuméraires", congelés depuis plus de 5 ans et dépourvus de projet parental.
Cette "exception" reste soumise, selon la loi, à deux conditions :
1 - celle "d’être susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs"
et
2 - celle "de ne pouvoir être poursuivie, que s'il n'existe pas de méthode alternative d’efficacité comparable".
Aucune thérapie avec les cellules souches embryonnaires ne semble être envisageable avant des années. C'est pourquoi, il me semble nécessaire de supprimer la condition "thérapeutique" de la loi.
Aucun essai clinique n’a pour l’instant démarré au niveau mondial. Il semble donc souhaitable d’atténuer cette notion dans le projet de réforme, afin de ne pas léser les expérimentations prometteuses en cours.
2 - Sur l'assistance médicale à la procréation (AMP) par insémination avec donneur ou par fécondation in vitro
Rappelons qu'en 2004, les 113.098 tentatives d'AMP ont été suivies de 17.791 naissances (soit moins de 1 sur 5).
Si 55 % des Français pensent que l'assistance médicale à la procréation (fécondation in vitro, insémination artificielle...) doit rester réservée aux couples hétérosexuels, 29 % sont favorables à son extension aux couples homosexuels femmes, et 38 % aux femmes seules.
Jusque-là, les femmes en mal d'enfant vont à l'étranger, en Belgique notamment, voir au Viêt-Nam comme nous le rappelle l'actualité, tout en sachant que l'AMP reste un parcours toujours difficile.
Faut-il aller vers une AMP de convenance pour permettre à des femmes célibataires ou à des couples d'homosexuelles d'avoir un enfant ? En effet, jusqu'ici l'AMP est réservée à un homme et une femme, en âge de procréer, mariés ou apportant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans.
Permettez-moi d’être très réservé sur cette extension qui est soutenue pourtant par 1/3 de nos compatriotes.
Concernant la question du don d’ovocyte, la grande majorité des Français (79 %) reste attachée à l'anonymat du don de sperme ou d'ovocytes et à leur gratuité.
Cependant, nous savons que la gratuité totale aboutit à une absence de donneuses en France, avec seulement une cinquantaine d'ovocytes donnés par des femmes en 2004.
Faut-il mettre en place une forme de "défraiement solidaire" pour éviter que le manque d'ovocytes conduise des Françaises à aller à l'étranger ?
3 - Sur la grossesse pour autrui
S’agissant de la grossesse pour autrui, et notamment de la mère porteuse, rien dans l’évolution des techniques n’a changé quoi que ce soit aux termes du problème.
En revanche, il faut avoir le courage d’affronter les difficultés.
53 % des Français considèrent que les mères porteuses devraient être autorisées en France (44 % croient même que c'est déjà le cas), et 46 % estiment qu'une veuve doit "pouvoir être fécondée avec le sperme congelé de son mari", selon une enquête publiée par l'Agence de biomédecine.
"La prohibition" en France des mères porteuses expose aussi les femmes à des officines qui se sont installées à l'étranger pour vivre de nos interdits.
Ne pourrait-on pas autoriser une femme à rendre à sa soeur ce service ?
Il est bien évident que la gestation pour autrui (mère porteuse) a des conséquences sur le principe de filiation.
Il faudra très clairement nous interroger sur la définition de l’enfant et de la mère.
La mère est-elle la femme qui accouche de l’enfant ou bien les parents sont-ils ceux qui ont donné les gènes ?
Personne ne peut nier non plus le risque lié à l’aspect financier de la méthode.
Il faudra traiter véritablement ce sujet difficile lors de l’examen de la loi et le trancher. Et j'avoue ne pas avoir actuellement d'opinion.
4 - Sur les prélèvements et greffes d'organes
Pourquoi sommes-nous obligés d'approfondir la question des dons d'organes des personnes vivantes ?
La prochaine loi de bioéthique devra poursuivre les efforts entrepris depuis 1994 en matière d’incitation au don d’organes et de développement de l’activité de greffe.
En France, 8.000 malades sont aujourd’hui en attente d’une greffe, dont 6.000 pour un rein.
L'une des réponses, c'est qu'on ne trouve pas suffisamment de greffons post mortem.
Dans la pratique, ce sont les familles qui donnent leur sentiment sur ce sujet. Ne faudrait-il pas revoir totalement le dispositif ?
Le système proposé met en avant le consentement présumé au don de la personne décédée, alors même que le texte impose au médecin de recueillir le choix éventuel de la victime auprès de ses proches.
Le problème étant alors de savoir si les proches témoignent effectivement de la volonté de la victime, ou s’ils substituent à celle-ci leur propre préférence...
Il faudrait dans tous les cas réfléchir à un dispositif qui éviterait de demander l'autorisation à une famille en deuil qui, et c'est naturel, a tendance à refuser.
Ne pourrait-on pas demander à tous les Français majeurs, à l'occasion de la mise à jour de la carte Vitale, d'indiquer s'ils acceptent qu'on leur prélève un organe après leur mort ?
Cette décision permettra notamment de répondre à la pénurie actuelle d'organes, aptes à la transplantation, mais aussi à la multiplication des réseaux clandestins et illégaux de prélèvements d'organes sur des personnes souvent démunies et vulnérables.
En conclusion, je souhaite que le futur projet de loi trouve un équilibre entre les valeurs éthiques que nous portons tous et les progrès de la science.
Sans oser paraphraser un auteur bien connu, je crois, en effet, qu'aucune science ne peut s'affranchir de la conscience humaine, surtout si elle prend l'homme pour objet.
Notre société pratique la congélation des embryons humains, autorise l'avortement, maintient une chaleur artificielle dans des cadavres en attente de prélèvement d'organes, et va autoriser prochainement les mères porteuses - un principe qui consiste tout de même à engendrer un être humain pour quelqu'un d'autre.
Mais, ce n'est pas tout ! Notre société va-t-elle autoriser à concevoir un enfant pour qu'il puisse servir à sauver son grand frère malade ?
Doit-on une nouvelle fois légiférer sur la fin de vie et modifier la loi du 25 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ?
Mes chers collègues, désormais, l'homme se sert de l'homme pour guérir l'homme.
Notre société ne peut pas se dispenser de se poser la question du risque de faire de l'homme une chose.
La question est pourtant simple : comment respecter, en soi et en autrui, la personne humaine ?
Je sais que la réponse à cette question est un véritable défi éthique que chaque médecin et chercheur doit tenter chaque jour de relever.
Voilà, mes chers collègues, les quelques observations et interrogations que je souhaitais exprimer à l’occasion de votre colloque.
Je tiens à remercier l'initiateur de cette journée, Jean-Michel BOLES. Vos contributions permettront d'enrichir notre réflexion sur ces sujets particulièrement difficiles.
Je vous remercie.
Commentaires