Jacques Le Guen, irréductible breton
Nous sommes en 2009. L’UMP est entièrement soumise à Nicolas Sarkozy… Toute ? Non. Jacques Le Guen, député villepiniste du Finistère fait partie de ces hommes politiques qui se battent pour faire émerger une autre voix. De Chirac à Sarkozy, cet irréductible breton revient sur son parcours et sur la nécessité de bâtir une autre alternative.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours politique ? Comment cette vocation vous est-elle venue ?
J’ai commencé ma carrière politique en tant que militant RPR, en 1976. Je me suis très tôt intéressé à la chose publique, j’ai baigné dedans très jeune. Mon père était maire d’une petite commune rurale. Il a été élu à deux reprises en 1971 et en 1977 avant d’être battu en 1983.
En 1978, j’ai été nommé responsable des jeunes RPR du Finistère puis mes études de médecine m’ont contraint à lever le pied. Je me rappelle d’ailleurs très bien qu’en 1981, j’avais fait l’impasse sur la moitié de mes examens (ce qui était osé) pour pouvoir libérer du temps pour la campagne de Jacques Chirac.
Après mon doctorat, j’ai été amené à travailler à Saint-Pierre-et-Miquelon (médecine d’assistance à la pêche). Je ne suis revenu dans le Finistère qu’en 1983, j’ai été élu conseiller municipal dans ma commune de Plounévez-Lochrist en 1989, et réélu en 1995.
C’est en 1998 que les choses s’accélèrent : mon prédécesseur au conseil général prend sa retraite et me demande de le remplacer. En 2001, je deviens donc adjoint au maire de Plounévez-Lochrist, poste que j’occupe toujours à ce jour.
En 2002, Charles Miossec, député depuis 1978 et ancien président du conseil général du Finistère m’a demandé de le remplacer. Je suis alors élu dès le premier tour avec près de 52% des suffrages.
C’est à ce moment que vous faites la connaissance de Dominique de Villepin ?
Oui, lorsque j’ai été élu à l’Assemblée Nationale, j’ai cherché à me rapprocher d’hommes politiques partageant mes convictions. Un an plus tard, je fais la connaissance de Dominique de Villepin, qui est alors ministre des Affaires Etrangères, un homme d’Etat d’exception, portant en lui une vision et une ambition politique pour la France. Son discours à l’ONU cette même année, qui traduisait, en plus des siennes, les convictions de Jacques Chirac, restera un grand moment.
En 2004 survient la défaite de la droite aux élections européennes et régionales et en 2005, c’est le « non » au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe qui l’emporte. Jacques Chirac décide de se séparer de Jean-Pierre Raffarin et nomme Dominique de Villepin à Matignon, une décision difficile.
Dès sa prise de fonctions, vous ressentiez déjà des tensions entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin ?
La situation était complexe, mais disons que la majorité parlementaire avait émis le souhait que Nicolas Sarkozy soit Premier Ministre, et la nomination de Dominique de Villepin a pu dans ces circonstances sembler difficile à avaler. Je me rappelle d’ailleurs très bien des circonstances de la 1ere réunion de groupe UMP après sa prise de fonction. L’ambiance était glaciale. Jean Luc Reitzer (Député du Haut-Rhin), que l’on voyait habituellement très rarement, avait préparé un discours complètement incendiaire.
Ces deux années (2005-2007) furent une époque troublée. Nicolas Sarkozy, souvent par l’intermédiaire de Nadine Morano ou de Frédéric Lefebvre, ne nous accordait aucun répit. Ces deux-là avaient leurs téléphones portables ouverts en permanence durant les réunions de groupe, de manière à ce que la presse soit informée en direct de tout ce que l’on pouvait se dire…
Vous aviez un rôle particulier auprès du Premier Ministre ?
Je faisais partie d’une sorte de « Task Force » que nous avions créée au mois de juillet 2005 pour travailler sur la problématique du chômage. Nous étions une quinzaine de députés, et nous réunissions régulièrement chez Dominique (de Villepin) ou chez Bruno (Le Maire). Nous faisions ensemble le tour de l’actualité politique de la semaine et échangions sur nos circonscriptions respectives.
Comment avez-vous vécu la crise du CPE ?
En fait, les premiers résultats du CNE, que nous avions créé, étaient plutôt bons. Nous avons ensuite créé les contrats de transitions professionnels, la fusion ANPE-UNEDIC était envisagée. Puis arrive le CPE, une réforme très mal gérée.
Les mouvements sociaux ayant paralysé le pays, Jacques Chirac a cédé et nous a retiré le pouvoir de négociation. C’est Bernard Accoyer et Josselin de Rohan qui en ont été chargés, puisque la loi avait déjà été votée devant l’Assemblée.
Le soir où le Président a déclaré à la télévision, « Je promulgue et je suspends », nous étions très mal en point. J’étais à Matignon ce soir là, et nous n’étions plus que 6. Sentant que la fin était proche, les rats avaient quitté le navire. Il ne restait plus qu’un dernier carré de fidèles.
J’ai à ce sujet une anecdote. Je me rappelle d’un soir où Hervé Mariton, Jean-Pierre Grand, Georges Tron et moi-même étions en train de préparer l’intervention de Dominique de Villepin devant les députés. Nous étions dans le salon d’honneur quand soudain arrive Nicolas Sarkozy. Nous ayant aperçus, nous l’avons vu blêmir et il a alors eu cette phrase cinglante : « Je vois qu’ici je ne suis entouré que d’amis.. »
Vous vous revendiquez d’être villlepiniste, quelles sont pour vous les racines de ce mouvement politique ?
Sous ce néologisme, on désigne un mouvement politique sur lequel Dominique de Villepin a posé son empreinte. Nous avons bien entendu des racines gaullistes, nous sommes très attachés à l’indépendance de la France sur la scène internationale, comme en témoigne nos positions à l’égard de l’OTAN et des dérives atlantistes du Président.
Nous sommes pour une action politique régulatrice et interventionniste. Nous acceptons l’économie de marché mais nous pensons, à l’instar de Jacques Chirac, que les dérives du libéralisme peuvent être aussi préjudiciables que celle du communisme.
Nous trouvons aujourd’hui que le gouvernement actuel ne hiérarchise pas assez ses priorités. La multiplication des réformes rend l’action gouvernementale difficilement lisible. Sous la responsabilité de Dominique de Villepin, le cœur de nos priorités était la bataille pour l’emploi, et la période a vu le chômage baisser de 10 à 7,2%. Nous avions également réduit les déficits publics à 37 milliards.
Aujourd’hui en 2009, n’est-ce pas difficile d’être villepiniste au sein de l’UMP ? Marianne parlait récemment d’un plan d’action pour mater les irréductibles bretons, c’est-à-dire vous et François Goulard.
Je ne parlerais pas de plan d’action mais plutôt de pragmatisme politique. Dès 2006, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy ont fait en sorte que je ne sois pas réélu secrétaire de l’UMP du Finistère. Le jour du vote, tout le monde avait voté contre moi. J’avais d’ailleurs parlé à l’époque de « méthode de voyous ». Nicolas Sarkozy m’a alors convoqué pour essayer de me tempérer. Il m’a dit : « De toute manière, je serais élu Président et tu seras élu député grâce à moi. Ce n’est pas de ma faute si tu n’as pas été confirmé dans tes fonctions de secrétaire départemental, c’est les militants… Tu t’affiches avec Debré et il passe son temps à me critiquer… ». C’est vrai que Debré était venu chez moi et avait fait le même jour une déclaration fracassante chez Apathie. Sur ce, je prends congés de Nicolas Sarkozy et je lui dis « Bonne chance, tu vas probablement gagner et moi j’aurais vraisemblablement plus de tempsd’aller à la pêche ». Il m’a regarde en pensant sans doute, « ce mec est complètement fou…
Il est certain que suivre Dominique de Villepin n’était pas le moyen le plus facile de faire une carrière politique, mais il est pour moi l’homme d’Etat dont la France a besoin, et je lui resterai fidèle quelque soit la suite des événements.
Vous avez été récemment investi candidat aux élections régionales de Bretagne par les militants UMP, mais il semblerait que de nouvelles primaires soient organisées…
Effectivement, j’ai été élu à 72% candidat de l’UMP pour ces régionales, mais l’Elysée pousse la candidature de Bernadette Malgorne (ancien préfet de Bretagne), bafouant les décisions des militants et le principe démocratique du parti.
Avez-vous été en contact avec Nicolas Sarkozy à ce sujet ?
Il m’a appelé mais pour d’autres raisons, la veille du vote de la réforme constitutionnelle. Il commence par me dire : « Bon, ce n’est pas la peine que je développe des arguments, je te connais, tu ne changeras pas d’avis. Mais écoute les socialistes vont faire un coup politique, il faut que tu votes ce texte ». Je lui réponds : « Monsieur, le président… ». Il m’interrompt : « Depuis quand tu m’appelles Monsieur le Président ? ». Je lui dis que j’ai trop de respect pour la fonction pour ne pas le vouvoyer. Je finis tout de même par le tutoyer et il me dit : « Tu sais, nos différences sont infimes ». Je lui réponds alors ceci : « Mon corps et mes biens appartiennent au Roi, mon esprit et mon âme appartiennent à Dieu et mon honneur à moi-même et je ne changerais pas d’avis. », ce qui est une phrase du duc de Montluc au XVIIème siècle. Il m’a répondu : « Têtu de breton » et il a raccroché.
La semaine dernière s’est réuni le comité de liaison de l’UMP : que pensez-vous des arrivées de Philippe de Villiers et de Frédéric Nihous ?
Nous sommes dans une phase nette de droitisation du mouvement, avec certaines personnalités à la limite de l’extrême droite..
Jacques Chirac n’a jamais accepté de pactiser avec ces « gens là » comme dirait Brel. Envers et contre son propre camp, contre ses intérêts personnels parfois, il l’a toujours refusé. Je pense qu’il a ainsi sauvé l’honneur de la droite républicaine.
Les villepinistes ont-il encore leur place au sein de l’UMP lorsque l’on voit que le parti est totalement verrouillé ? Sachant que Xavier Bertrand est désormais secrétaire général, Brice Hortefeux est vice-président du conseil national, Eric Besson est secrétaire général adjoint…
Oui toujours pour l’instant. Notre place est au centre droit.
N’est-ce pas également la place que convoite François Bayrou ?
Bayrou aura du mal à se relever de son faux pas aux élections européennes. Et quand on entend les dernières déclarations de Marielle de Sarnez, on voit que le Modem a tendance à basculer à Gauche.
Bayrou, au départ de centre droit (UDF), puis au centre, finit donc sa carrière politique à gauche…
La journaliste Marine Turchi de Mediapart a évoqué des tractations entre Dominique de Villepin, François Bayrou et Nicolas Dupont-Aignant en vue des élections régionales : rumeur ou réalité ?
Non, ce sont que de pures spéculations. Je ne pense pas qu’une alliance avec François Bayrou soit envisageable. En ce qui concerne Nicolas Dupoint-Aignant, il est venu à nos colloques et, sur de nombreuses questions, ses positions ne sont pas très éloignées des nôtres.
A part sur l’Europe…
Oui, effectivement, il est souverainiste. Mais sur le reste, il est dans notre courant de pensée.
Enfin, en ce qui concerne le procès Clearstram, que pensez-vous des déclarations du procureur Jean-Claude Marin ? Y a-t-il une instrumentalisation de la Justice ?
Oui, pour moi, c’est désormais évident. Entre les pressions de l’Elysée, le prolongement du Juge Pons et les déclarations du chef du parquet, ça commence à faire beaucoup.
Sarkozy est juge et partie dans cette affaire. On le voir encore plus récemment avec son déplacement au Brésil. Jamais jusqu’ici, nous avions vu un Président de la République s’exprimer sur un procès qui n’avait pas encore débuté alors qu’il était à l’étranger. La vérité c’est que l’on essaye de condamner Dominique de Villepin avant même que le procès commence.
Ce qui est en train de se tramer est véritablement scandaleux. On va se battre pour que le jugement innocentant Dominique de Villepin soit rendu. Après quoi nous aurons l’esprit libre pour bâtir une nouvelle alternative politique.
Félicitations pour ces positions claires et courageuses. De tout coeur avec toi - Amitié -
Rédigé par : Charles | 09 septembre 2009 à 17:18