Au deuxième jour de sa visite officielle en France, le colonel Kadhafi a rencontré mardi des députés lors d'une visite très controversée à l'Assemblée nationale boycottée par la gauche, les centristes et une partie de l'UMP.
Accueilli par la garde républicaine, le dirigeant libyen, vêtu d'une cape noire, a passé une heure et quart à l'Hôtel de Lassay, résidence du président de l'Assemblée nationale contiguë au Palais Bourbon. Le quartier avait été entièrement bouclé par les forces de l'ordre, qui sont allées jusqu'à interdire d'accès quelques députés pourtant munis de leurs cartes. "On laisse un dictateur entrer dans l'Assemblée et on empêche les députés!", s'est insurgée la socialiste Aurélie Filippetti.
Moammar Kadhafi a d'abord eu un entretien d'une demi-heure avec le président UMP de l'Assemblée Bernard Accoyer. Puis il a rencontré dans la salle des fêtes une trentaine de députés et quelques sénateurs. Plus de 80 députés, présidents de groupes, membres du bureau de l'Assemblée et des commissions, membres du groupe d'amitié France-Libye, avaient été invités.
Dans une ambiance de "dialogue apaisé", selon M. Accoyer, les parlementaires ont entendu le colonel Kadhafi exprimer sa volonté de tourner la page dans ses relations avec les pays occidentaux. "Nous sommes dans une nouvelle ère que nous espérons sans guerre froide ni chaude", a assuré le dirigeant libyen.
Moammar Kadhafi a fait part de son "enthousiasme" pour la proposition de Nicolas Sarkozy d'une Union méditerranéenne, et plaidé pour la création d'un "seul Etat démocratique" réunissant Israéliens et Palestiniens.
Le leader libyen n'aura rencontré que des parlementaires UMP. Car la gauche et une partie de la majorité avaient boycotté la cérémonie pour protester contre les violations des droits de l'Homme en Libye. "On ne déroule pas le tapis rouge à un dictateur dans l'enceinte de la démocratie!", s'est insurgé le président du groupe socialiste Jean-Marc Ayrault.
M. Ayrault a profité du débat organisé dans l'après-midi sur le conseil européen de cette semaine pour fustiger la "diplomatie spectacle" de Nicolas Sarkozy, "suite de coups sans fin, sans cohérence", et se payer le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, "comble de la tartuferie".
Les déclarations du colonel Kadhafi sur France-2 selon lesquelles M. Sarkozy ne lui a pas parlé des droits de l'Homme a ajouté au trouble des députés. "Qui dit la vérité?", a demandé M. Ayrault. "Ce n'est pas la couleur du tapis qu'il faut retenir, c'est le fait que nous essayons d'attirer vers nous des pays qui ont quitté le terrorisme", a répliqué M. Kouchner.
"La place de M. Kadhafi n'est pas à l'Assemblée nationale. Il n'est qu'un dictateur, qu'un tortionnaire", a renchéri le Vert Noël Mamère. La politique de M. Sarkozy, "c'est le Fouquet's, le CAC 40 contre les droits de l'Homme."
"Ici, c'est le temple de la démocratie. Cette visite est inopportune", a jugé François Sauvadet, président du groupe Nouveau centre.
Des députés UMP partageaient ce point de vue. Invité, Lionnel Luca (Alpes-Maritimes) a refusé d'être "un alibi". "On peut recevoir des chefs d'Etat en France sans les faire passer par l'Hôtel de Lassay", a estimé François Goulard (Morbihan).
Président du groupe UMP, Jean-François Copé, s'était excusé en raison de la réunion au même moment de son groupe. Il n'en a pas moins exprimé son "soutien total" à l'accueil réservé par Nicolas Sarkozy au colonel Kadhafi.
Gêné aux entournures, Bernard Accoyer a répondu qu'il avait reçu le dirigeant libyen comme "à chaque fois qu'il y a une visite officielle de chef d'Etat". Le président de l'Assemblée a affirmé avoir évoqué la question des droits de l'Homme avec le colonel Kadhafi, sans avoir de "réponse particulière".
Les députés UMP qui assistaient à la rencontre ont justifié leur présence par des raisons pragmatiques. "Traiter le colonel Kadhafi comme un paria n'est pas le meilleur moyen pour faire passer le message des droits de l'Homme", a fait valoir Jacques Le Guen, vice-président du groupe d'amitié France-Libye. "Par définition, on fait la paix avec un ennemi", a rappelé Pierre Lellouche, citant Yitzhak Rabin. AP