A la fin du mois de juillet dernier, la réunion ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) convoquée à Genève pour tenter de faire aboutir le cycle de négociations lancé à Doha au Qatar en 2001 s’est soldée par un échec, faute d’accord sur le volet agricole.
Ce nouvel échec des négociations finales du « Doha Round », également appelé « Cycle du Développement », suscite de véritables interrogations quant à la place de l’agriculture dans le champ d’intervention de l’OMC, où elle a été intégrée à partir de 1986.
Face à ce constat, on peut légitimement se demander si la stratégie de cette instance, fondée sur le principe d’une libéralisation non régulée des échanges internationaux, est adaptée et permettra réellement à l’agriculture de répondre aux multiples défis auxquels elle est confrontée, et au premier rang desquels se trouve la sécurité alimentaire. Le problème de la sous-nutrition dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne et les émeutes de la faim qui ont éclaté de façon simultanée voilà quelques mois dans des pays comme le Mexique, Haïti, le Maroc, l’Egypte, le Bangladesh ou encore les Philippines, soulignent l’importance de cet enjeu planétaire, et ce alors que la population mondiale devrait augmenter de 50 % d’ici 2050 d’après les prévisions démographiques.
L’Accord sur l’agriculture de l’OMC, qui a été négocié dans le cadre de l’ « Uruguay Round » entre 1986 et 1994, comprend des engagements pris par les Etats membres de cette organisation pour parve-nir à long terme à une amélioration de l’accès aux marchés, et à une réduction progressive et substan-tielle des subventions qui ont des effets de distorsion des échanges dans le secteur agricole.
Aujourd’hui, les objectifs poursuivis en la matière sont loin d’être atteints. Le cycle actuel de négocia-tions, marqué par des échecs répétés et des retards significatifs dans l’échéancier, est dans l’impasse.
Depuis quelques années, les questions agricoles constituent la pierre d’achoppement des négociations, bloquant toute avancée sur les autres sujets restant à l’Agenda de l’OMC. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur les conséquences de cette situation et sur l’opportunité de sortir l’agriculture du cadre de l’OMC, d’autant plus que les échanges agricoles ne représentent que 10 % du volume total des échanges mondiaux.
L’OMC compte actuellement 153 Etats membres, ce qui ne facilite pas la recherche d’un consensus. Elle est surtout le théâtre où s’affrontent quatre modèles agricoles et alimentaires aux intérêts diver-gents (les Etats-Unis, l’Union européenne, les pays en développement, et le « groupe de Cairns » qui regroupe des pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Australie…) et, plus largement, deux conceptions de l’agriculture : d’un côté celle qui fait de l’agriculture une simple activité marchande, et de l’autre celle qui reconnaît sa dimension stratégique pour les nations (nourrir la population !), l’équilibre des territoires, l’environnement ou encore la santé.
Les difficultés de l’OMC à traiter efficacement les questions agricoles tiennent par ailleurs au fait qu’elle considère sans distinction tous les secteurs d’activité. Son approche, centrée exclusivement sur l’aspect commercial, la conduit fatalement à ignorer les spécificités des marchés des produits agrico-les, qui sont soumis à des contraintes autres que celles des marchés des produits manufacturés.
Les marchés agricoles internationaux sont notamment caractérisés par une instabilité qui provient de facteurs endogènes liés à la rigidité de la demande, en constante augmentation et peu sensible à l’évolution des prix, mais aussi de facteurs exogènes (aléas climatiques, sanitaires ou économiques), dont les répercussions peuvent être considérables pour les agriculteurs et l’équilibre des marchés. La combinaison de ces facteurs entraîne une très forte fluctuation des cours agricoles, comme l’a témoi-gné la crise du marché du blé en 2007, qui a alors connu une hausse brutale des cours principalement due à une baisse de la production en raison de mauvaises conditions climatiques (pluie dans l’Union européenne, gel en Ukraine et en Russie, sécheresse en Australie), et amplifiée par la spéculation in-ternationale qui, échaudée par le scandale des « subprimes » et la dépréciation du dollar, s’était repliée sur les matières premières agricoles et énergétiques.
Or, la libéralisation des marchés agricoles et la dérégulation préconisées par l’OMC risquent d’accroître la volatilité des prix, qui est néfaste pour la viabilité économique des exploitations agrico-les et des filières alimentaires, étant donné que ses propositions visent à interdire ou décourager les dispositifs dont disposent les gouvernements pour atténuer les effets de cette volatilité.
La libéralisation totale des marchés agricoles et la dérégulation risquent en outre d’aggraver la dépen-dance alimentaire de nombreux pays en développement (PED), qui sont nettement moins bien dotés en facteurs de production que les pays développés. La suppression des barrières commerciales et la dimi-nution des aides publiques mettent en concurrence des structures de production très inégales, ce qui menace l’agriculture des PED.
Il apparaît urgent, dans ce contexte, d’extraire l’agriculture des négociations de l’OMC. Compte tenu des enjeux, l’agriculture et l’alimentation appellent en effet une gouvernance mondiale modernisée et plus ambitieuse, qui adopte une approche des questions agricoles plus globale que celle de l’OMC. Cela nécessiterait la mise en place d’une organisation spécialement dédiée à toutes ces questions, qui permettrait de surcroît de coordonner les actions menées par les diverses instances internationales oeuvrant pour le développement agricole et la lutte contre la faim.
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